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Claussen (Geoffrey D.), Green (Alexander), Mittleman (Alan L.) [coll.]

Jewish Virtue Ethics, Albany, State University of New York Press, 2023, xii + 519 pages (« SUNY Series in Contemporary Jewish Thought »).

c.r. de QSH: Il est courant aujourd’hui de distinguer en morale trois approches, l’éthique des vertus, l’éthique déontique et l’éthique conséquentialiste. Dans ce schéma, à première vue, le système juif des commandements et des interdits relèverait, en tant que morale, de la seconde démarche, au rebours de l’éthique des vertus qui prend pour point de départ les virtualités présentes en l’homme. Il n’est pas sûr, cependant, que la conformation aux préceptes de la Loi écrite et orale relève précisément de ce qu’il faut entendre par morale, quand bien même ces préceptes forment une règle de vie; en revanche, le discours de la tradition rabbanite formule, en dehors du système des préceptes quoique dans un rapport à leur observance qu’il y aurait lieu d’examiner, un programme de développement de vertus, soit à titre de préalable à l’accomplissement des commandements (PA), soit à l’imitation des vertus divines. Telles sont, peut-être, deux voies de la morale que cet ouvrage veut étudier tant pour elles-mêmes que quant à leurs rapports. L’introduction (p. 1-7) est trop mince pour développer une problématique de ce genre et annonce seulement une succession d’analyses de divers auteurs ou corpus juifs ou de traitements de diverses questions éthiques par des auteurs juifs. Un cadre de questions y assure pourtant l’unité du propos et promet éventuellement la possibilité de conclusions générales: les auteurs des trente-cinq chapitres, classés chronologiquement de «Biblical Literature » à «Jewish Environmentalism», ont dû exprimer l’importance des vertus pour l’auteur (c’est le cas le plus fréquent), le courant de pensée ou le thème dont ils ont traité; quelles vertus s’y trouvent privilégiées; comment elles doivent être cultivées et quels en sont les exemples; de quelle façon l’idée des vertus à l’œuvre dans ce contexte détermine une interprétation du judaïsme ou de l’identité juive. La diversité des implications est également évoquée (point de vue communautaire ou universaliste, sécularisme et transcendance, morales du moyen terme ou de l’extrême, rôle de la raison dans la vertu, qualité de la nature humaine). Il y a des vertus classiques et souvent évoquées telles que l’amour de Dieu, l’amitié, la piété, la sainteté ou la sagesse, d’autres dont le concept est propre à un auteur comme la réceptivité à la bonté divine chez Ibn Gabirol, le bon vouloir dialogal chez Martin Buber ou le réalisme chez Hannah Arendt. Même diversité dans les moyens de cultiver les vertus, pratique des commandements, modes de l’argumentation traditionnelle dans l’étude, exemples et récits, programmes d’étude spécifiques, exercice des vertus elles-mêmes.

L’épilogue d’A. Mittleman analyse la notion de tradition, en l’occurrence celle d’une anthropologie normative en relation avec une téléologie normative et rappelle que, dans le présent cadre, la source de la tradition dans laquelle s’insèrent bon gré mal gré tous les auteurs et mouvements considérés est la Bible, pourvoyeuse de modèles de conduite, d’une idée de Dieu même comme tel (Dt 28,9 suivant une interprétation répandue de we-hālakhtā bi-derākhāyw); que, cependant, la Bible s’adresse à un homme déjà moral en quelque façon (selon une lecture de la maxime des Pirqēy Ābōt, im eyn derekh ereṣ eyn Tōrāh; M. Mittleman fait ici référence à l’Éthique à Nicomaque 1095b); il mentionne les liens nécessaires avec les notions de perfection et de fin ultime, ce qui nous maintient dans le cadre aristotélicien; pose encore la question de l’universalisme et du particularisme (notant au passage le peu de valorisation du courage et comme un contraire celle, forte, de l’humilité) et pour finir celle des éventuels destinataires actuels du discours juif sur les vertus: les membres d’une société libérale en manque de tradition morale?


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Jean-Pierre Rothschild (29 janvier 2024). Claussen (Geoffrey D.), Green (Alexander), Mittleman (Alan L.) [coll.]. Quid sit homo. Consulté le 19 avril 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/11u6c