Julia Roumier [monogr.],

Le faste et les fêtes. Ostentation et distinction dans deux chroniques du XVe siècle castillan, Paris, Honoré Champion, 2024, 336 p. (« Bibliothèque du XVe siècle », 92). Notice de QSH. Suivant les modèles royaux, cherchant à défendre son rang contre les branches bâtardes et la petite noblesse et perdant de leur rôle à la guerre, la haute noblesse de la Castille des Trastamare entend mettre en scène sa supériorité dans l’ordre des bonnes manières et de l’étiquette (qui, précisément, enregistre strictement la hiérarchie sociale). Le modèle européen avait longtemps été les usages de la cour de France, eux-mêmes influencés par ceux de l’empire byzantin ; mais au XVe siècle s’impose peu à peu l’étiquette bourguignonne à la faveur de la guerre de Cent Ans. « Les Rois catholiques comprirent rapidement l’importance de l’esthétique somptuaire dans la sphère politique » ; quant aux classes dominantes, l’ouvrage fait référence en introduction aux études classiques (de Norbert Elias, Thorstein Veblen) regardant la norme de leurs conduites : maîtrise et codification des pulsions individuelles, « consommation ostentatoire » et détachement des activités productives, luxe, voire « excentricité commune » (J. Yarza Luaces) au groupe : il faut « se montrer grand pour être reconnu comme tel ». Il y a naturellement une contradiction avec les idéaux chrétiens d’austérité et de modestie que dénoncent les prédicateurs et auteurs de traités moraux ; l’Église obtient que des lois somptuaires limitent les marques ostentatoires ; sur un plan politique et juridique, elles servent aussi à assurer la lisibilité de la hiérarchie sociale : restreindre l’accès au luxe n’en marque que mieux le sens symbolique. On veut ici étudier le langage symbolique ainsi mis en œuvre et son renforcement rhétorique dans les textes, à partir d’un ouvrage relevant du genre de la biographie chevaleresque (crónicas particulares), influencé par ceux des chroniques royales, de la poésie épique, des romans de chevalerie et des traités moraux et politiques. Parmi les chroniques castillanes de ce genre, les Hechos de don Miguel Lucas (ouvrage anonyme narrant l’ascension de ce favori du roi à partir de 1458 [il est fait baron, puis comte, puis connétable de Jaén] jusqu’à son déclin peu avant son assassinat en 1473 ; c’est donc le cas particulier d’un homme nouveau dont l’élévation rapide a suscité d’intenses critiques) sont apparus les plus riches quant au thème de l’ostentation ; à des fins contrastives a été également étudiée la chronique royale Crónica del Halconero de Juan II, relation par Pedro Carrillo de Huete du règne de Jean II de Trastamare (1405-1454), conservée dans le ms. de Madrid, BN 9445, où manquent le début et la fin, qui commence à la majorité du roi en 1420 pour s’achever abruptement en 1450 (bien que le rédacteur ait fait référence plus tôt à la mort du roi en 1454). L’analyse des textes, deux entreprises de légitimation (d’un parvenu ; d’un roi contesté), dans le cadre anthropologique dont les principales sources ont été indiquées, procède en trois parties : « Démonstration de légitimité : preuves de noblesse et des qualités chevaleresques » (générosité ; dévotion et défense de la foi ; conduite chevaleresque) ; « Rituels du pouvoir : fêtes et spectacle d’une cour » (la fête, le jeu ; décors ; arts de la table) ; « Culte de la beauté et esthétisation de la supériorité sociale » (le changement ; la rareté et l’excès ; une esthétique hybride [orientale, antique, païenne]). – Bibliographie, p. 303-329 ; index des noms.

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