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Hugues Daussy [monogr.],

Un royaume en lambeaux. Une autre histoire des guerres de religion (1555-1598), Genève, Labor et Fides, 2022, 260 p. (« Histoire »). (c.r. Matthieu Arnold, Revue d’histoire et de philosophie religieuses 104/2, 2024, p. 227-233). Propose « une autre histoire des guerres de religions », refusant pour commencer le découpage traditionnel en huit guerres de religion et choisissant pour point de départ l’an 1555, qui voit apparaître au grand jour les premières communautés protestantes ainsi qu’un important mouvement de conversion au protestantisme dans la noblesse ; pour point terminal, l’Édit de Nantes même s’il n’a pas entièrement réconcilié les Français (p. 227 et 237-240). L’ouvrage veut être une présentation sélective et thématique des guerres de religion, d’une érudition discrète et ne donnant qu’une « bibliographie sélective » (p. 254-258), encore que l’auteur ait déjà prouvé sa profonde connaissance des sources dans de volumineux travaux, Les huguenots et le roi. Le combat politique de Philippe Duplessis-Mornay (1572-1600), Genève, 2002 et Le parti huguenot. Chronique d’une désillusion (1557-1572), ibid., 2014. En six chapitres, il veut cette fois « mettre en lumière un choix de traits caractéristiques de ce demi-siècle, afin de donner quelques clefs utiles à la compréhension des dynamiques à l’œuvre au cours de ces guerres civiles » (p. 10). « Un corps démembré » (chap. 1) met en évidence la désintégration rapide de l’unité dans la décennie 1550, au premier chef la fracturation de la noblesse française du fait de l’adhésion, pour une « infinité de raisons » (p. 24), d’une grande partie d’entre elle à la Réforme. Même les Bourbons sont touchés mais la fracture s’étend à la noblesse provinciale, causant une « fragmentation géo-confessionnelle du royaume » (p. 29). À la fin de la décennie 1550 se structurent deux « partis » antagonistes, les « intransigeants » qui se radicaliseront dans les années 1580 et le « parti huguenot » qui se construit au cours des événements politiques et militaires. La Couronne est catholique tout en prônant la conciliation ; les « hommes de l’entre-deux », « catholiques modérés », peinent à se faire entendre avant la « dernière guerre civile » où ils font progresser l’idée d’une politique de tolérance indispensable à la paix (p. 51). Au demeurant, les frontières entre ligueurs, huguenots et modérés ne sont pas étanches et chaque « bloc » connaît aussi des évolutions. Ce contexte campé, « Une crise d’ampleur internationale » (ch. 2) montre le rôle majeur dans le conflit des puissances européennes, en premier lieu l’Espagne et l’Angleterre, pour des raisons pas seulement religieuses (p. 69-72). La mention, chiffres et lieux à l’appui, de contingents étrangers venus de Hesse, d’Angleterre, de la Suisse protestante, des Pays-Bas, et d’Espagne, d’Italie ou des Cantons catholiques, illustre combien le Royaume devient un « champ de bataille européen » (p. 85-97) : entre 1562 et 1598, au moins 350 000 soldats y sont entrés. « Un laboratoire politique » (ch. 3) traite du combat de plume : ses différentes formes, l’image « exécrable » construite de l’ennemi et le « radicalisme politique » ainsi engendré (voir ainsi les traités dits « monarchomaques », p. 133-137) ; des conceptions nouvelles, aussi, qu’il fait naître, car le demi-siècle d’affrontements sanglants fut aussi celui d’une intense réflexion, sur l’exercice de la royauté et le lien entre sphère politique et sphère religieuse, notamment dans le « parti huguenot » et parmi les « modérés ». « Une crise de croissance de la puissance monarchique » (ch. 4) examine les stratégies des souverains successifs, de François II à Henri IV, en contestant la « lecture superficielle » qui donne une « impression d’improvisation permanente et de perte de contrôle apparent » (p. 145). Il est question d’un choix « contraint » mais aussi « assumé » du dialogue par la monarchie, en 1560-1562 et dans les années 1590. Mais la politique royale est faite aussi de manifestations d’autorité, au nombre desquelles l’élimination « préventive », par Charles IX qui l’assume publiquement, des chefs de la noblesse huguenote présents à Paris lors de la Saint-Barthélemy (p. 164-165). Quant au parti des « politiques », il contribue au début du règne d’Henri IV (1589-1594) à « enraciner la conviction selon laquelle l’usage absolu du pouvoir est désormais devenu une manifestation ordinaire de la souveraineté royale » (p. 184). L’histoire des guerres de religions n’est donc pas seulement celle de l’affaiblissement du pouvoir monarchique. « Une France désolée » (ch. 5) considère le peuple. C’est là que, disjoignant l’action de Charles IX du « mouvement instinctif du peuple de Paris », l’A. traite du massacre qui a suivi l’intervention royale avant de s’étendre à la province (p. 192-193). Après Denis Crouzet, il inscrit la cruauté des « guerres de religion » dans un contexte d’angoisse eschatologique (p. 189-192). Outre les « massacres populaires », les Français sont en butte à la violence des opérations militaires (ch. 2). Les pertes sont considérables parmi les soldats, victimes aussi d’épidémies et d’une mauvaise alimentation, les civils sont victimes de pillages, voire de massacres commis par les mercenaires, en particulier les Allemands. Les conséquences économiques de la guerre sont « désastreuses », les caisses de l’État sont vides bien que la population soit accablée d’impôts et, en cinquante ans, les prix ont été multipliés par trois au quatre (p. 211-216). Le Refuge fait l’objet d’un bref traitement : il ne faut pas exagérer son importance (« Il est bien difficile d’évaluer l’ampleur de ces flux », p. 219). Le ch. 6 est consacré à la chronologie. La conclusion (p. 241-245) reprend les thèses du ch. 4, inspirées par Arlette Jouanna, sur le passage d’une puissance monarchique absolue à un prince absolu, tout en soulignant la restauration de l’Église par l’Édit de Nantes et la postérité des doctrines « monarchomaques » chez les philosophes anglais. Des « repères chronologiques » (p. 247-251) complètent cet ouvrage qui a très bien démêlé l’enchevêtrement des facteurs d’un « conflit interminable » et les évolutions qu’il a causées).


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Jean-Pierre Rothschild (31 octobre 2024). Hugues Daussy [monogr.], Quid sit homo. Consulté le 19 avril 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/12lrc