Dante, traduit de l’italien par S. Royère, Paris, Flammarion, 2021 (éd. originale Bari, Laterza, 2020), 472 p. Notice de QSH. Biographie due à un historien et non à un spécialiste de la littérature, qui donne à connaître les engagements dans la vie active, les préférences politiques et morales et les éventuels doubles jeux du poète. Insiste sur l’appartenance, souvent niée par ses biographes, de Dante, quoique peut-être pas noble (la notion n’est pas claire dans la Florence du temps ; en outre Dante lui-même, qui a varié sur ce point dans ses œuvres, ne reconnaissant d’abord de noblesse qu’individuelle et fonction de la conduite pour se réclamer finalement d’un ancêtre chevalier, Cacciaguida, avait pu, plus tôt, tenir compte de l’hostilité politique à la noblesse dans la Florence d’alors ; en tout cas sa famille était des assez notoires pour posséder un nom propre et des armoiries) à la classe la plus aisée et sur son implication dans un onéreux et périlleux service armé, ce que montre sa participation au premier rang des cavaliers dans la bataille de Campaldino de 1289 dont témoignent en particulier ses lettres, perdues depuis, qu’avait utilisées Leonardo Bruni en narrant sa vie. La naissance dans la deuxième quinzaine de mai 1265 est tirée d’informations reçues par Boccace et d’allusions dans l’œuvre de Dante ; ce propre prénom, qui lui vint sans doute de la famille de sa mère, est généralement un diminutif de Durante, mais il ne se désigne dans ses écrits et n’est désigné dans des actes notariés, sauf une exception, que comme Dante. Son seul témoignage littéraire fixe sa rencontre avec Béatrice le 1er mai 1274, peu de jours avant ses neuf ans, mais neuf a un valeur symbolique dans son œuvre ; l’amour qu’il dit avoir instantanément conçu ne fut alimenté par aucune rencontre pendant neuf autres années : il la rencontre, mariée, elle le salue, il se lance dans le genre alors nouveau en langue vernaculaire de la description de sa flamme, ce qui lui fait intégrer un milieu social plus élevé, comme celui de Béatrice elle-même ; le mariage de celle-ci avait été politique, avec une famille du camp opposé en espoir d’apaisement ; elle meurt à vingt-cinq ans en 1290. Comme les enfants de son milieu, Dante avait appris à lire, écrire et compter et les rudiments du latin à l’école élémentaire. À la suite de la mort de Béatrice il cherche des consolations chez Boèce et Cicéron mais peine à les comprendre, prenant toutefois le goût de la philosophie ; il se rend alors « dans les écoles des religieux et les disputations des philosophes », et étudia intensément, ses œuvres et les témoins l’attestent ; il se fait l’élève de Brunetto Latini, mort en 1293, et lui manifestera son respect dans le chant XV de l’Enfer, en dépit de la sodomie ; Brunetto dut lui enseigner la philosophie nouvelle développée à partir des arts libéraux ou, dès son adolescence, bien avant la mort de Béatrice, l’ars dictaminis qu’il professait, avec un rhétorique pratique mais aussi orientée vers la philosophie morale ; il est presque sûr aussi que Dante avait étudié à Bologne dans les années 1280, où il aurait pu concevoir sa piètre idée des « lettrés italiens » et d’une culture commerciale. Plus que l’hypothèse d’un mariage (et non simple promesse) exceptionnellement précoce de Dante, dès 1276 (avec erreur d’indiction), à laquelle conduit le document de versement de la dot à sa veuve, l’A. croit vraisemblable celle d’une erreur d’année, ce qui, selon l’indiction, conduirait à supposer, plus vraisemblablement, 1293. En dépit de nombreux documents d’emprunts contractés par Dante et son demi-frère, qui s’expliqueraient par la rareté du numéraire à Florence et la nécessité d’en obtenir, ils auraient, les premiers de leur famille, vécu sans travailler, et dans une certaine aisance que ne reflète pas la liquidation ultérieure à bas prix, après leur mort, de leurs anciens domaines (indivis ?), dans des conditions défavorables. Outre les études, Dante s’était lancé vers trente ans dans l’activité politique et il s’en conserve nombre de documents entre 1295 et 1301. Il eut l’occasion de se déclarer en 1295, lors de l’avènement d’un faction populaire modérée qui mit fin à l’exclusion des Grands des organes de gouvernement prononcée auparavant par la faction populaire extrémiste qui avait failli entraîner Florence dans la guerre civile ; Dante figure lui-même comme un tenant du peuple, quoique marié et apparenté parmi les « Grands », porté au compromis avec eux et très hostile à la dictature du peuple pauvre, aspirant, en modéré, à la suprématie de la loi et des procédures pacifiques. Son ancien ami poète, Guido Cavalcanti, partisan décidé des Grands, prit ombrage de cet engagement de Dante qu’il avait connu inclinant vers la noblesse. Pour participer à la vie de la cité, il lui fallait être immatriculé à un « art » ou corporation, et l’on s’est étonné de le trouver parmi les médecins et apothicaires, d’où force hypothèses fantaisistes ; mais il suffit de rappeler que cet « art » incluait les « merciers », c’est-à-dire toutes sortes de commerçants, ce pourquoi les premiers imprimeurs y seraient rattachés à leur tour. Entre 1296 et 1300, malgré l’importance des événements, le rôle de Dante dans les divers conseils n’est plus documenté, sans doute en raison des importantes lacunes des archives. Or 1300 est le moment d’une division des magnats guelfes entre Blancs, riches commerçants parvenus, et Noirs, de notabilité plus ancienne, moins riches, agressifs, qui entraînera l’exil du poète ; malgré des liens de famille, Dante était plus proche des premiers, eux-mêmes alliés au parti populaire, modéré ou non, et même aux gibelins ; cependant Florence faisait partie d’une coalition guelfe, elle-même attentive aux volontés du pape ; or celui-ci, Boniface VIII, tout en souhaitant l’unité du parti guelfe, en tenait pour les Noirs. Dante, devenu l’un des six « prieurs » devant gouverner la ville pendant le bimestre du 15 juin au 14 août, participa à la condamnation au bannissement de magnats auteurs de violences, que les Blancs acceptèrent, mais non les Noirs dans un premier temps ; les Blancs furent rappelés aussitôt, les Noirs restant bannis ; en juin 1301, membre du Conseil des Cent dans lequel il intervint souvent, Dante s’exprime contre une demande d’aide militaire formulée par le pape. En novembre, Charles de Valois entre en ville avec ses chevaliers, secrètement chargé par le pape de faire triompher les Noirs, fait arrêter les chefs des Blancs, et les Noirs pillent les biens de leurs ennemis (y compris les propriétés de Dante) et installent un podestat qui donne forme légale à leur violence ; Dante n’est pas seulement contraint à l’exil mais, avec d’autres, condamné en justice pour corruption et pressions politiques, en janvier 1302 ; les accusés, contumaces, furent condamnés à des amendes colossales puis, en mars, de manière arbitraire, au bûcher ; ayant refusé les conditions d’une amnistie en 1315, il fut condamné cette fois à la décapitation. Sa femme, protégée par sa parenté chez les Noirs, et semble-t-il la plupart de ses enfants, demeurèrent à Florence et Boccace prétend que Dante fut heureux de s’éloigner de sa femme, qu’il refusa toujours de revoir. Dante participa en retour aux violences commises par les Blancs exilés, alliés aux gibelins et fut l’un des chefs du parti en exil dont la journée de la Lastra (juillet 1304) et la mort de Benoît XI ruinèrent les espoirs. Dante dut rompre violemment (avant cette journée, semble-t-il) et parlera durement dans la Comédie de ce compagnonnage. Il gagne Vérone, se met sous la protection des della Scala, gibelins et autocrates ; dès lors on ne sait presque rien des vingt dernières années de sa vie, faute d’archives et devant des allusions autobiographiques obscures ou peu dignes de foi, comme la prophétie ex post de Cacciaguida dans la Comédie, peut-être destinées à masquer des palinodies. Il dut peut-être monnayer ses compétences en ars dictandi, comme donne à le penser l’identification récente de ses stylèmes dans les traités et lettres produits alors par des chancelleries seigneuriales. Un séjour à Bologne paraît établi par divers indices et par une affirmation de son fils Piero ; Dante y connût peut-être la nécessité de vivre de son enseignement, ce qu’il fustigera dans ses œuvres à venir. Entre 1304 et 1306, ou plus tard, Dante peut aussi avoir imploré le pardon des autorités de Florence, comme l’affirme Leonardo Bruni qui eut peut-être accès à une correspondance perdue. On le trouve en septembre 1306 au service diplomatique des Malaspina, grands seigneurs campagnards dont il fit l’éloge tout imprégné d’idéologie nobiliaire, elle qu’il combat en même temps dans son Banquet. Dans les mêmes termes (si la lettre est authentique) il fait l’éloge des comtes Guidi, qu’il traitera de faux monnayeurs dans l’Enfer. Le séjour à Paris évoqué avec des précisions suspectes par Boccace est tout de même plausible, celui de Padoue aussi, et celui de Lucques, ignoré de Boccace, est prouvé par un document de 1308 où son fils apparaît comme témoin. L’avènement de l’empereur allemand Henri VII en 1308, mettant fin aux espoirs de Charles de Valois, réveille ceux de Dante qui entre l’été et l’automne 1310 adresse aux autorités d’Italie un manifeste en sa faveur, suivie d’une autre le 31 mars 1311 dans laquelle il introduit les thèmes de sa Monarchia peut-être contemporaine : l’obéissance spontanée à la loi de César est la vrai liberté ; le 17 avril encore il écrit à Henri une lettre ouverte d’un ton prophétique (songe-t-il au prophète Jérémie, comme le donne à penser un épisode du chant XIX de l’Enfer ?). Le père et le grand-père de Pétrarque, chassés de Florence presque en même temps que Dante, le rencontrèrent, ainsi que le jeune Francesco âgé de sept ans, en 1311 rapporte celui-ci, peut-être à Gênes. Après la mort d’Henri en août 1313 puis celle du pape Clément V en avril 1314, Dante s’adresse cette fois aux cardinaux en se référant à nouveau à Jérémie. Des chants de la Comédie sont déjà connus et ce n’est pas en vain que, refusant les conditions d’un retour à Florence en 1315, il évoque sa renommée. Un séjour véronais à ce moment et l’authenticité de la lettre à Cangrande della Scala sont très disputés ; en ces années 1315-1317 de famine européenne, Dante connut peut-être de grandes difficultés à être encore accueilli et financé, ne fut peut-être pas loin d’être réduit à la condition d’ « homme de cour » entretenu à condition de divertir par sa conversation et de rendre quelques services diplomatiques. À cause de l’interdit ecclésiastique jeté sur Vérone par le pape Jean XXII ou pour quelque autre raison, il accepta l’invitation du seigneur ou encore podestat guelfe de Ravenne, Guido da Polenta, poète lui-même ; de ce séjour témoigne sa seule œuvre datable (de 1319 à 1321), les Ecglogae, correspondance latine avec Giovanni del Virgilio qui voulait le convaincre de ne plus écrire en langue vulgaire mais en latin ; on sait qu’il entretint dans la ville l’amitié d’une société cultivée, tout en correspondant avec des amis lointains comme l’astrologue Cecco d’Ascoli, enseignant alors à Bologne et promis au bûcher à Florence, aux théories duquel il présentait des objections qui témoignent d’un intérêt persistant pour la question de la noblesse ; il plaça avantageusement deux de ses enfants dans les institutions religieuses locales, preuve qu’il disposait des appuis nécessaires en dépit des invectives largement prodiguées dans la Comédie. Son génie poétique est désormais reconnu et, à sa mort, ses fils s’empressent de rendre publics les treize derniers chants du Paradis, puis commentent son œuvre. Parallèlement, le nom de Dante apparaît alors à Avignon à l’occasion d’un supposé complot Visconti pour faire périr le pape par sorcellerie ; le séjour guelfe de Ravenne s’accommoderait mal de cette entreprise de gibelins et il paraît plutôt s’agir d’un coup monté à Avignon. Dante mourut le 13 ou le 14 septembre 1321, au retour d’une missions diplomatique à Venise. – Brève chronologie, p. 241-243 ; notes en fin de volume ; bibliographie, p. 429-460 ; index (des personnes).
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Jean-Pierre Rothschild (31 juillet 2024). Barbero (Alessandro) [monogr.], Quid sit homo. Consulté le 19 avril 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/1246i