Ressources numériques en sciences humaines et sociales OpenEdition Nos plateformes OpenEdition Books OpenEdition Journals Hypothèses Calenda Bibliothèques OpenEdition Freemium Suivez-nous

Kraus (Marius) [monogr.]

Ulrich von Hutten und seine Gegner. Humanistische Invektiven am Vorabend der Reformation, Wurtzbourg, Ergon 2022, 555 p., 47 ill. (« Transalpines Mittelalter », 1). (Rec. Markus Wriedt, Sehepunkte 24/1, 2024 [15.01.2024] (revue en ligne). Dans le cadre d’un projet « Agonale Invektiven. Schmährededuelle im italienischen und deutschen Humanismus » mené à Dresde, cet ouvrage étudie l’invective en tant qu’importation littéraire de l’humanisme italien, qui combine chez Hutten la recherche littéraire et une agressivité sans bornes, au carrefour de l’exercice de la langue, de l’émotion et de la violence. Les invectives de Hutten sont ici traitées dans l’ordre chronologique après un premier chapitre thématique replaçant l’invective dans le contexte de la communication au début du XVIe siècle. Avant la Réforme, Hutten a conduit quatre polémiques publiques, contre la famille patricienne Lötz de Greifswald (1510), contre le duc Ulrich de Württemberg (1515-1519), contre des religieux (1521/2) et contre l’Électeur Palatin Louis V (1521-1522), les qualifiant d’invectives réparatrices auxquelles il aurait été contraint, selon une variante de la théorie de la guerre juste. Sa stratégie de victimisation et la notion de droit de vengeance persistante dans le moyen âge allemand conférèrent à l’invective un nouveau potentiel d’illustration de l’érudition littéraire et de la réputation nobiliaire en même temps que les nouvelles conditions de publication en transformaient la pratique et élargissaient la palette de ses formes. Le second chapitre porte sur les fonctions des discours et écrits d’invective dans le cadre de la formation des clans humanistes : il est d’abord question de la participation de Hutten à la querelle au sujet des livres juifs qui mit aux prises l’humaniste Johannes Reuchlin avec le juif converti Johannes Pfefferkorn entre 1509 et 1521, puis des « Lettres des hommes obscurs » et de la prise de distance finale, Absage an Reuchlin (1521). L’A. regarde les « Lettres des hommes obscurs » comme un avant-coureur de la Réforme et une manifestation littéraire du regroupement en factions des humanistes allemands ; Hutten commença même une querelle avec Érasme von Rotterdam, ce que l’A. juge exemplaire du caractère rituel de la querelle littéraire chez les humanistes. Le troisième chapitre étudie la diversité des formes littéraires de l’invective, sur les exemples des attaques contre la curie romaine et le souverain pontife et de l’appui à Luther à l’occasion de la diète de Worms en 1521. En 1519 se serait tenu le virage religieux de l’invective ; c’est aussi le moment d’un emploi de l’image graphique par Hutten, en particulier dans le contexte de son discours sur la nation. Le quatrième chapitre est consacré aux éditions et traductions dues à Hutten, au service de ses polémiques, moyennant quelquefois les paratextes : éditions du traité de Laurent Valla sur la fausse donation de Constantin (1518/9), du De unitate ecclesiae conservanda et du De schismate extinguendo (1520) ainsi que, la même année, de la bulle pontificale menaçant d’excommunication Exsurge Domine. De violentes critiques contre l’Église s’y appuient sur de supposées preuves historiques. La rhétorique cicéronienne lui devient le moyen de l’oratio invectiva humaniste ; il s’agirait d’un changement général de paradigme de la communication lors de la Réforme, avec un rôle important dévolu à l’imprimerie. Les paratextes des éditions et les divers aspects performatifs du dialogue littéraire répondent à une stratégie de communication bien précise : Hutten cherche à saboter les situations de communications par le dénigrement et l’agression, en puisant dans les ressources de la rhétorique ancienne, de la poésie et de la tradition de l’invective. L’invective chez Hutten lève ainsi des interdits du discours, cherche la déstabilisation, l’érosion et l’inversion de l’ordre social au profit d’une anomie, tout en renforçant des solidarités de clan. Cette étude est jugée monumentale, d’une érudition considérable (avec 90 pages de sources et de bibliographie), appelée à devenir un usuel de l’étude de l’humanisme allemand. Les conclusions plus générales qu’elle tire après s’être concentrée sur l’invective doivent être mises à l’épreuve de la comparaison avec d’autres représentants de l’humanisme allemand, mises aussi en rapport avec les recherches sur l’humanisme biblique allemand).


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Jean-Pierre Rothschild (29 mars 2024). Kraus (Marius) [monogr.]. Quid sit homo. Consulté le 15 mars 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/11u7a