Ressources numériques en sciences humaines et sociales OpenEdition Nos plateformes OpenEdition Books OpenEdition Journals Hypothèses Calenda Bibliothèques OpenEdition Freemium Suivez-nous

Cooper-Rompato (Christine F.) [monogr.]

Spiritual Calculations. Number and Numeracy in Late Medieval Sermons, University Park (Pennsylvania), The Pennsylvania University Press, 2022, xi-192 p.

(Rec. Sandy Gale, Medieval Sermon Studies 67, 2023, p. 88-89. Étude de l’usage des nombres, de l’arithmétique et d’opérations mathématiques dans des sermons en moyen anglais et en latin du moyen âge tardif, montrant les interprétations spirituelles élaborées des nombres dans la prédication. On soutient avec vraisemblance qu’auditeurs et lecteurs y étaient sensibles parce qu’ils possédaient des éléments de calcul empirique. Un appendice présente les méthodes de calcul accessibles aux non-universitaires, compte sur les doigts, instruments comme les abaques et les rosaires, etc. Le premier chapitre expose le rôle des nombres dans la prédication vernaculaire : les divisions la structurent et facilitent la mémorisation et la communication. Mais la prédication médiévale contenait souvent des interprétations élaborées de nombres s’appuyant sur des idées regardant la théorie des nombres élaborées par Boèce et ses semblables mais aussi sur des problèmes mathématiques et des modèles de calcul. Les nombres y jouaient ainsi un rôle à la fois pratique et symbolique. Le ch. 2 considère les éléments numériques du traité du début du XVe siècle Dives and Pauper et du cycle de sermons du manuscrit Warminster, Longleat House 4. Tous deux sont anonymes et sans doute dus à un franciscain de formation universitaire. L’auteur de Dives and Pauper combine avec confiance ses connaissances numériques et celles de son public pour expliquer le divin et interpréter tant l’Écriture que les pratiques religieuses. Des exemples contextualisés du cycle de Longleat 4 montrent ensuite les associations positives et négatives que des lecteurs et des auditeurs pouvaient faire avec des nombres. Les discussions numériques et mathématiques étendues de ce cycle conduisaient à la compréhension partagée de concepts religieux abstraits tels que la vertu, la perfection divine, l’infinité du ciel et les châtiments de l’enfer.

Le ch. 3 prend pour objet les matériaux pour la prédication du manuscrit Salisbury Cathedral Library 103 (mi-XVe s.), vaste allégorie de quatre-vingt-quinze sermons intitulée Jacob’s Well et montre par des exemples frappants comment ces textes promettaient au public de se « connaître soi-même » à l’aide de l’arithmétique en lui donnant à voir par des mesures pratiques la longueur, la largeur et la profondeur de ses péchés. Pour finir, ils ne permettent pas d’en prendre la mesure exacte, une tension entre calculabilité et incalculabilité étant le moteur même de l’effort du public pour se connaître et se réformer: une approche numérique du divin était à la fois encouragée et limitée dans le cadre de la culture religieuse du moyen âge tardif.

Le ch. 4 étudie le raisonnement quantitatif dans les sermons latins du bénédictin Robert Rypon (v. 1350-1421/2) conservés dans le manuscrit de Londres, British Library, Harley 4894, produits à l’intention de publics monastiques et laïques anglais et comportant des nombres, de la théorie des nombres, de la géométrie, de l’arithmétique et de la numérologie, dans le fil de la tradition du sermon scolastique. Le prédicateur assignait aux nombres des valeurs spirituelles familières comme la mise en rapport du dix avec les dix commandements. L’interprétation numérologique du nom de Jésus vise à expliquer les mystères du salut. Il semble aussi que Rypon utilise dans sa prédication son expérience pratique de la comptabilité en qualité d’aumônier ou de prieur. Les allégories élaborées de ses sermons non seulement reflètent la « mentalité arithmétique » du moyen âge tardif mais encore la portent plus loin en mêlant les idées profanes et spirituelles sur le calcul.

En concluant, l’A. se demande à quel point le calcul spirituel de ces sermons déterminait la vie des auditeurs, question difficile à aborder de front pour laquelle on se réfère au Livre de Margery Kempe, grande « consommatrice » de sermons, lequel manifeste la pratique comptable pragmatique et spirituelle à la fois à laquelle encourageaint les sermons et d’autres types de littérature religieuse. L’A. confirme ainsi le travail de Thomas Lentes1 sur le rôle prépondérant de l’ « arithmétique du salut » dans la société tardo-médiévale, qui contestait en particulier l’usage purement mercantile des comptes chez Margery Kempe. – L’ouvrage est jugé une talentueuse démonstration de l’interaction de la prédication avec l’expérience pratique de son public dans le domaine des nombres, donnant lieu à une comptabilité « hybride » applicable dans la vie de tous les jours).

  1. « Counting Piety in the Late Middle Ages », dans B. Jussen (dir.), Ordering Medieval Society. Perspectives on Intellectual and Practical Modes of Shaping Social Relations, traduit par P. Selwyn, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 2001, p. 55–91 []

OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Jean-Pierre Rothschild (20 février 2024). Cooper-Rompato (Christine F.) [monogr.]. Quid sit homo. Consulté le 19 avril 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/11u6m